Exposition « Bernar Venet. Les années conceptuelles 1966-1976 »

Bernar Venet. Les années conceptuelles. 1966-1976

MAMAC de Nice

Textes de l’exposition

1966-1967

Au début des années 1960, Bernar Venet vit à Nice, entre la rue Pairolière où le jeune artiste a installé son atelier, l’Opera ou il participe à la réalisation de décors pour gagner sa vie et les hauts lieux de la vie artistique niçoise. Pendant celte période d’intense activité et d"échanges avec ses pairs (Arman, Ben. Martial Raysse, Guy Bottier, …), il amorce une recherche singulière. A rebours de la flamboyance et du côté solaire d’un certain « pop » niçois qui règne alors, il intègre dans son travail des objets de rebut, recourt au goudron puis aux peintures industrielles. En guête de neutralite, fuyant toute dimension subjective de son travail, il amorce en 1966 une série de dessins techniques réalisés a partir de documents industries. Encouragé par Arman, qui vit son aventure américaine depuis 1961, Venet fait une première incursion à New-York au printemps 1966 avant de s’y installer en décembre de la même annee. Lors de son premier voyage, il découvre avec fascination les minimalistes américains au Whitney Museum - notamment Donald Judd, Dan Flavin et Sol Le Witt.
C’est dans cette scène artistique radicale quil trouve la contirmation de ses recherches et son territoire intellectuel. Il développe alors, à Nice, puis aux Etats-Unis une série de peintures et dessins réalisés à partir de manuels de chimie, de mathématiques. de géométrie et de physique

« En présentant ce que l’on définit habituellement comme « objets mathématiques » : nombres, figures, espaces, fonctions, relations, structures, etc... l’œuvre d’art peut alors s’élever à un niveau d’abstraction maximal qui lui était étranger. Le « non-référentiel » est poussé dans ses extrêmes limites. Nous n’avons plus, comme dans l’art abstrait, de symbolique non plus, celle de la forme ou de la couleur par exemple ...
Je propose un svstème auto-référentiel maximal, celui que seule une équation mathématique peut contenir.
 » - Bernar Venet

LA PÉRIODE PROTO-CONCEPTUELLE

De manière très précoce, Bernar Venet élabore au début des années 1960 des œuvres radicales qui éliminent toute composition. En témoigne le Dessin montrant la méthode de recouvrement de la surface d’un tableau, dont la forme résulte d’un procédé d’exécution mécanique. L’artiste prévoit que la surface du tableau - déterminée par le collectionneur, qui a également le choix de la couleur - soit recouverte section par section, mois après mois, jusqu’à obtenir une surface entièrement uniforme et monochrome.
Ave ce protocole de réalisation programmée du tableau et ce geste de délégation, Venet exprime déjà son désir de retrait en tant qu’auteur, tout en s’approchant d’un degré zéro de la peinture qui s’illustrera bientôt dans la série des « Cartons » peints au pistolet. Il offre ainsi une œuvre proto-conceptuelle qui semble anticiper la définition que formulera l’artiste Sol Le Witt en 1967 : « Dans l’art conceptuel, l’idée ou le concept est l’aspect le plus important. Quand un artiste utilise une forme conceptuelle d’art, cela signifie que tout est prévu ou décidé au préalable et que l’exécution est affaire de routine. L’idée devient une machine à faire de l’art  »

PEINTURES GÉOMÉTRIQUES & DESSINS PRÉPARATOIRES

En 1966, Venet réalise une série de tableaux présentant des démonstrations géométriques. Ces toiles, dont le châssis épouse la forme qu’elles décrivent, rejoignent la tendance du shaped canvas - ou « toile formée », autrement dit une peinture dont la surface n’est pas rectangulaire - relancée par son contemporain Frank Stella. Ces peintures, illustrant des données essentielles de la géométrie, en sont le transfert vers l’espace du tableau. Venet prend cependant soin d’imiter un rendu imprimé pour limiter l’impact visuel de son geste pictural.
Ces peintures acrylique son accompagnées d’une documentation de leur préparation : des dessins industries ou démonstrations géométriques issus d’ouvrages mathématiques et techniques, collés sur une feuille aux côtés de leur légende manuscrite. Témoignages du processus de réflexion, érigés au rang d’œuvre, ils permettent de comprendre l’emprunt à un domaine de connaissance précis, ainsi que le passage de l’étude préparatoire à l’œuvre. Cette mise en valeur du processus créatif est pour l’artiste une étape supplémentaire vers la dimension conceptuelle de son travail.

1967 - 1969

Avec l’ambition de faire progresser l’art par l’objectivité et la connaissance, Bernar Venet introduit les sciences dans le contexte artistique pour questionner les limites du mode d’existence de l’œuvre. En 1967, il rédige un manifeste qui acte son arrêt de la peinture, puis il programme pour les quatre années à venir la liste des domaines scientifiques à traiter, dont les sujets seront choisis par des experts.
L’attitude de retrait de l’artiste se retrouve dans les différents procédés employés : agrandissement photomécanique, enregistrement sonore ou performance lors de conférences confiées à des scientifiques.
En soumettant une expérience mentale plus qu’esthétique, en enquêtant sur la nature de l’art et ses conventions, cette démarche s’inscrit dans les grands principes du courant conceptuel. Venet participe ainsi à plusieurs de ses expositions fondatrices aux intitulés éloquents : Language, Art by Telephone, Art in the Mind, Information … .
Son approche se distingue toutefois de la notion de « dématérialisation de l’objet d’art » au sert à identifier art conceptuel. Il lui préfère celle de « para-visuel ». formulée par le poète et critique John Perreault, car ses travaux gardent une forme plastique mais pour mieux communiquer des contenus d’information. En dépit d’une recherche de neutralité. les séries au format tableau sur la météorologie et la bourse résonnent sIngulierement avec les enjeux climatiques et financiers du monde actuel.

ASTROPHYSIQUE, RECHERCHE SPATIALE

L’astrophysique, l’une des disciplines de l’astronomie, s’appuie sur la physique et la chimie pour déterminer les caractéristiques d’objets dans l’espace - soleil, étoiles, galaxies, ondes interstellaires, etc. - en étudiant divers aspects de leurs émissions d’ondes, leur température ou leur densité. Au XX° siècle, l’astrophysique s’étend à l’étude de toutes les spécificités électromagnétiques de ces objets astronomiques.
Aux États-Unis, l’intensification de la course à la conquête spatiale dans les années soixante entraine la publication d’une série de découvertes astrophysiques majeures, qui encouragent Bernar Venet à choisir ce domaine scientifique pour ouvrir son programme de production, qu’il entame en 1967. En réalité, ses œuvres empruntant à l’astrophysique s’étendent de 1966 à 1969. Il s’appuie sur des découvertes tres contemporaines, principalement anglo-saxonnes et en fait la base d’un ensemble de pièces aux médiums variés, dont deux conférences de chercheurs enregistrées sur bande en 1967. Au-delà du recours objectit a un champ de la connaissance ces séries apportent aujourd’hui un témoignage de l’émulation internationale qui régnait alors autour de l’aventure spatiale et de la quête de compréhension de l’univers.

1969-1976

Afin d’éviter tout systématisme, Bernar Venet prémédite l’arrêt de sa production à la fin de l’année 1970. Il complète auparavant son programme disciplinaire en créant des installations didactiques faites d’agrandissements d’ouvrages, relatifs notamment aux sciences humaines et du langage. Tandis que ses œuvres sont exposées à travers le monde - le point d’orgue étant une rétrospective organisée en 1971 au New York Cultural Center -, Venet se consacre à l’enseignement, donne des conférences et publie des écrits théoriques pour expliciter sa propre démarche. Emprunté au sémiologue
Jacques Bertin, le terme « monosémie » lui sert désormais à décrire la nature de ses travaux conceptuels qui ne possèdent qu’un seul niveau de sens.
Le parcours de l’exposition s’achève avec la reprise de l’activité de l’artiste à partir de l’automne 1976. Renouant avec des préoccupations formelles, il entreprend des séries de dessins et de tableaux autoréférentiels dont les sujets mathématiques (angles, arcs, droites...) déterminent l’aspect. Cette nouvelle étape, qui prolonge les investigations conceptuelles antérieures, réamorce ses recherches vers la monumentalité, et bientôt la sculpture.
La décennie 1966-1976, période charnière et matricielle, n’est pas seulement une phase d’expérimentations prolifiques de jeunesse. Elle révèle toute la rigueur et la cohérence de l’œuvre entier de Venet, qui l’impose comme une figure majeure de l’art conceptuel.

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